Un autre refrain: la Saskatchewan en route vers la réconciliation
Au Québec, qui ne connaît pas la chanson “Saskatchewan”, du groupe Les Trois Accords? Au-delà de ce refrain qui résonne comme un ver d’oreille, j’en savais très peu au sujet de la moins populeuse des provinces des Prairies canadiennes avant de m’y rendre au mois de mai dernier. Dans le cadre de mon travail au MCC, j’ai eu l’occasion de participer à un voyage d’apprentissage là-bas pour visiter le programme du MCC Voisins Autochtones en Saskatchewan. Avec le coordonnateur du programme, Randy Klassen, ainsi que la co-directrice du bureau Paix et Justice à Ottawa, Ruth Plett, j’ai rencontré des partenaires, participé à des réunions d’organismes œuvrant à la réconciliation avec les Premières Nations, pris part à une cérémonie de partage de la pipe et visité une réserve crie experte en horticulture forestière. Mais l’un des moments les plus marquants fut de rencontrer des agriculteurs mennonites et luthériens qui ont accepté d’entrer en dialogue avec des Autochtones qui réclamaient les fermes comme étant leur terre de réserve légitime, appelée Réserve 107 en vertu du traité numéro 6 de 1876. En dépit de certaines réactions de frustrations, quelques-uns ont trouvé la force d’accepter l’invitation une rencontre communautaire et un repas avec des chefs autochtones. Admettant qu’ils n’avaient pas la moindre solution concrète à offrir, les participants ont décidé qu’avant de régler leurs différends, ils tenteraient au moins de bâtir une relation et de reconnaître la réalité historique de la dépossession des terres autochtones pour faire place au peuplement de type « européen » dans les Prairies. J’ai trouvé cette (rare) capacité à rester calme pour se faire artisan de paix absolument époustouflante. D’autant plus que ce fut à l’égard de personnes venant, à juste titre d’ailleurs, bouleverser les idées reçues et les modes de vie.
J’ai aussi eu l’occasion de mieux comprendre les différences qui existent entre l’expérience de peuplement dans les Prairies et celle ayant prévalu au Québec. Il m’est aussi apparu que la conversation à l’échelle nationale est largement dominée par le vécu intense et relativement récent de la dépossession des communautés autochtones là-bas. Le Québec fut principalement peuplé au cours des 17e et 18e siècles, donc bien avant la confédération (1867), la Loi sur les Indiens (1876) et la politique des pensionnats qui en découla (et qui eut cours au Québec aussi), et d’une manière plus graduelle et moins systématique que dans les Prairies. À cause de cela, une bonne part du langage utilisé dans le cadre de la réconciliation avec les peuples autochtones (par exemple, la pratique de la reconnaissance territoriale ou l’usage du mot « colon » pour référer aux Canadiens blancs) sonne lourd, culpabilisant, voire inexact aux yeux des Québécois. Néanmoins, j’ai vu en Saskatchewan plus que de la mauvaise conscience et de l’auto-flagellation; j’y ai vu un mouvement très diversifié fait d’Autochtones, de Métis, de Canadiens blancs, d’immigrants, tous engagés à éliminer le racisme et à poursuivre la réconciliation dans la paix. J’y ai vu une véritable vision sociale pour l’avenir.
J’ai pu voir un bel exemple de ce mouvement lorsque j’ai pris part à une réunion d’affaires d’un regroupement de 115 organismes de Saskatoon œuvrant pour la réconciliation Blancs-Autochtones. Saskatoon a beau être la deuxième ville en importance en Saskatchewan, elle n’en demeure pas moins une ville de taille modeste : 273 000 habitants, c’est-à-dire environ la moitié de la population de la ville de Québec (souvent appelée un simple village par les gens de Montréal!). Comment donc expliquer l’ampleur de cette extraordinaire convergence de groupes et de personnes engagés dans la réconciliation au sein d’une si petite ville? Il faut tenir compte du contexte de la Saskatchewan pour saisir l’énergie et le dévouement qui habitent le milieu. Le problème de la disproportion de population autochtone dans les prisons canadiennes est déjà bien documenté : en 2021, plus de 48% des femmes en prison au Canada étaient autochtones (bien qu’elles ne comptent que pour 5% de la population féminine). En Saskatchewan, la proportion atteint les 90% (75% hommes et femmes réunis). L’écart est si absurde qu’il signale un problème social complètement anormal. Devant de tels défis, les gens de cette province ont commencé à réagir en se concentrant sur les causes profondes de ce malaise (l’héritage du colonialisme et de la dépossession des Autochtones) au lieu de se contenter de répondre à leurs conséquences strictement par la lutte à la criminalité.
Encore plus étonnant d’un point de vue québécois, les groupes religieux, spécialement les Églises chrétiennes, sont tout à fait bien représentés dans ce mouvement de réconciliation. Surtout, j’ai senti une joie et une excitation de la part des parties prenantes vis-à-vis d'une situation qui, bien que sévère, commence à changer et à produire des fruits de paix et de justice. À partir du terrain jusqu’aux cercles politiques, la réconciliation est en marche. Il n’en tient qu’à nous de la vivre ici aussi.