La paix comme un fleuve, sur le fleuve
Au Cambodge, un partenaire du MCC aide les communautés autochtones à lutter de manière pacifique contre la pêche et l’exploitation forestière illégales.
Note de la rédaction : Dans la tradition cambodgienne, on indique le nom de famille d’une personne en premier, suivi du prénom.
Par un après-midi ensoleillé, l’eau clapote doucement contre un groupe de petits bateaux échoués sur une île fluviale de la province de Kratié, au Cambodge.
Un groupe de femmes se réunit à l’ombre d’un arbre en fleurs, dont les délicates fleurs blanches embaument l’air. Tout en dégustant des pastèques fraîchement coupées et du jus de canne à sucre douce, elles discutent de la santé du fleuve, le Mékong, et de leurs projets pour sa protection.
« Lorsque nous avons besoin de manger du poisson, nous nous servons simplement du filet. »
Sor Navy
Patrouilleuse des rivières et des forêts
Pourquoi le puissant fleuve du Mékong revêt-il autant d’importance?
Le Mékong est le plus long fleuve d’Asie du Sud-Est. On estime que 15 % des poissons d’eau douce pêchés dans le monde proviennent de ce fleuve, qui constitue une source vitale de revenus et de nourriture pour de nombreuses personnes, dont Sor Navy. Elle vit sur les rives du fleuve avec son mari et ses trois enfants dans le village voisin de Vattanak.
« Lorsque nous avons besoin de manger du poisson, nous nous servons simplement du filet », affirme-t-elle. Elle et son mari peuvent pêcher ce dont ils ont besoin, comme les habitants de la région le font depuis des générations.
Toutefois, ces dernières années, la pêche au filet produit moins de poissons, et ils sont plus petits.
Depuis très longtemps, les familles emploient des méthodes de pêche traditionnelles, telles que de petits filets simples. Dernièrement, cependant, des pêcheurs, dont beaucoup viennent d’autres régions, arrivent avec des équipements destinés à capturer le maximum de poissons possible. Certains emploient des outils électrifiés qui assomment les poissons. D’autres utilisent de très grands filets, qui peuvent blesser les dauphins de l’Irrawaddy, une espèce en voie de disparition essentielle aux activités locales d’écotourisme familial.
Bien que ces méthodes soient illégales, selon Navy, la pauvreté pourrait inciter les pêcheurs à s’en servir pour augmenter leurs profits.
Elle craint ce qui se passerait si les habitants ne pouvaient plus vivre de la rivière. Elle craint que la pénurie n’accroisse les tensions au sein des ménages et entre voisins, entraînant des violences, ou qu’elle n’incite les familles à quitter Vattanak, et que leurs enfants abandonnent l’école à un jeune âge. « Cela m’est très difficile à accepter. »
Grâce à un partenaire du MCC, elle a trouvé un moyen d’agir, contribuant ainsi à maintenir le fleuve en bonne santé et à préserver sa communauté.
Les partenariats protègent le Préy Lang et plus encore
Avec Theum Chan Thou, cultivatrice de noix de cajou et mère de deux enfants, Navy conduit une équipe de femmes de la région qui effectuent plusieurs patrouilles de plusieurs jours par an. Elles guettent et interpellent les pêcheurs qui utilisent des techniques illégales.
Elles le font en tant que membres du réseau communautaire de Préy Lang; ce réseau est composé d’habitants de quatre provinces cambodgiennes et a pour objectif de protéger la rivière et la forêt de Préy Lang située à proximité. Grâce aux formations proposées par l’organisation Ponts de paix (Peace Bridges Organization, PBO), partenaire du MCC, les résidents ont appris à lutter de manière pacifique contre la pêche illégale et d’autres formes de dégradation environnementale.
Après la collation, Navy et Chan Thou ramènent les femmes vers les bateaux. Le groupe part en mer, à deux ou trois par bateau. Si les femmes repèrent des personnes qui pêchent illégalement, elles tirent leurs bateaux hors de l’eau et s’approchent. La sécurité d’un grand groupe et les formations à la résolution des conflits qu’elles ont suivies leur permettent d’agir en toute confiance.
Navy explique que lorsqu’elle parle aux pêcheurs, elle leur explique calmement que les communautés locales dépendent de la santé de la rivière et que la pêche non autorisée nuit à leur mode de vie. Elle les rassure en leur disant que les familles peuvent subvenir à leurs besoins grâce aux méthodes traditionnelles. Après tout, c’est ainsi qu’elle vit, ainsi que son mari.
Les femmes emploient ces mêmes approches dans la forêt de Préy Lang. Lors des patrouilles forestières, elles se joignent aux groupes d’hommes du réseau, à bord de leurs motos, afin de mettre fin à l’exploitation forestière illégale.
La forêt de Préy Lang : au cœur de l’action
Les arbres de la forêt, dont certains ont près de 1 000 ans, sont au cœur de tous les aspects de la vie ici. La forêt revêt une grande importance spirituelle pour les nombreuses personnes issues des communautés autochtones Kuy, et sa richesse fait vivre les habitants des environs depuis des générations. Les familles y cherchent des fruits et des champignons sauvages. L’huile de neem extraite du margousier sert de médicament ou pesticide naturel. Les habitants savent quelles vignes sauvages contiennent des réserves d’eau minérale potable, et ils peuvent sécher et couper les vignes pour en faire de la corde. La résine des arbres, utilisée pour réparer les bateaux, constitue une source importante de revenus.
Des ponts de paix au Cambodge
C’est l’importance capitale de la rivière et de la forêt qui incite les habitants à s’engager à participer aux patrouilles. Ces patrouilles durent souvent plusieurs heures, et parfois plusieurs jours, le long de tronçons de la rivière très ensoleillés ou sur des routes rocailleuses et accidentées. Les participants prennent régulièrement des nouvelles les uns des autres et s’arrêtent rapidement si quelqu’un a un problème avec leur bateau ou leur moto. Le soir, ils installent leur camp, pêchent dans le Mékong et dégustent un repas de poisson, avant de se reposer et de poursuivre leur route. Les premiers groupes de patrouilleurs formés par le réseau communautaire de Préy Lang étaient composés uniquement d’hommes. Au tout début, les participants aux patrouilles utilisaient souvent des mots durs à l’encontre des pêcheurs et des bûcherons. Ces confrontations ont rendu les patrouilleurs, leurs familles et leurs communautés vulnérables à des représailles violentes.
Les formations proposées par l’organisation Ponts de paix les ont aidés à apprendre et à pratiquer des approches plus pacifiques.
Lors de la création de l’organisation Ponts de paix au début des années 2000, le personnel a d’abord cherché à promouvoir la paix entre les 3 % de Cambodgiens qui s’identifient comme chrétiens. Toutefois, des responsables comme Som Chanmony, directeur général, ont vite compris que leurs formations à la construction de la paix et à la résolution des conflits bénéficieraient tous dans ce pays à majorité bouddhiste.
De nombreux membres de la communauté dans cette région suivent un mélange de pratiques bouddhistes et animistes. Leur désir profondément spirituel de protéger la forêt et la rivière a fait d’eux un partenaire naturel de l'organisation Ponts de paix, dont le personnel, en tant que chrétien, se sent également appelé à travailler pour le bien-être de l’environnement. « Un volet de ma foi consiste à prendre soin de toute cette création que Dieu nous a confiée », explique Chanmony.
« Un volet de ma foi consiste à prendre soin de toute cette création que Dieu nous a confiée. »
Som Chanmony
Directeur général, l’organisation Ponts de paix (PBO)
Les femmes surveillent les forêts et les eaux
En 2021, le premier groupe de patrouilleuses fut créé. Chan Thou se souvient qu’au début, il n’y avait que sept membres. Les hommes craignaient que leurs femmes et leurs filles ne se joignent au groupe, car ils savaient que les patrouilles impliquaient des voyages de nuit et des interactions tendues avec les pêcheurs et les bûcherons. Parfois, Chanmony s’est assis avec les maris des nouveaux participants pour leur expliquer comment les formations de l'organisation Ponts de paix contribuent à la sécurité de tous. Il a souvent réussi à convaincre les maris.
Les succès remportés par les femmes font également évoluer les mentalités.
Chan Thou raconte que lorsqu’elle a rejoint le groupe, elle jouissait du soutien sans réserve de son mari, qui savait à quel point elle aimait la rivière et la forêt. Ses parents, en revanche, étaient plus hésitants.
Toutefois, au cours des dernières années, l’abattage illégal a visiblement diminué et les populations de poissons commencent à se rétablir. Les parents de Chan Thou ont constaté ce redressement et ont compris à quel point les capacités de leur fille à diriger étaient essentielles. « À partir de ce moment-là, mes parents ont commencé à me soutenir à 100 % », explique Chan Thou. « Je suis très reconnaissante qu’ils me soutiennent et qu’ils comprennent mon travail. »
« Les femmes de la communauté en entendent parler et posent des questions »
Sor Navy
Patrouilleuse de la rivière et de la forêt
Le soutien au groupe de femmes s’est accru, tout comme le nombre de membres. Aujourd’hui, une trentaine de femmes y participent. « Les femmes de la communauté en entendent parler et posent des questions », explique Navy. Le groupe de Kratié étant bien établi, le réseau communautaire Préy Lang prévoit maintenant de créer des groupes de femmes dans les trois autres provinces où il travaille.
Navy a bon espoir que cet investissement dans la protection des écosystèmes du Cambodge se poursuivra.
« Vous savez que la rivière appartient à chacun d’entre nous. »
Sienna Malik est rédactrice en chef du magazine A Common Place. Saobora Narin, photographe indépendant au Cambodge, a fourni des photographies par l’intermédiaire de Fairpicture.
Photo du haut : Un bateau patrouille sur le Mékong tandis que les membres d’un groupe de femmes guettent la pêche illégale. MCC/photo Fairpicture/Saobora Narin
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