« Une mentalité de sage-femme au lieu de la loi du plus fort »

Ce que les partenaires du MCC en Palestine et Israël ont à nous dire

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Seth & Sarah Event Oct 28-9

Après plus d’une année d’attaques incessantes de l’armée israélienne sur la Bande de Gaza, des voix s’élèvent du milieu même de la société israélienne pour réclamer une autre approche dans la relation entre l’État d’Israël et les territoires palestiniens.  

Bien plus loin des bombes, des Églises montréalaises soutenant le MCC se sentent également interpellées par la disproportion de la réponse militaire aux attaques du Hamas lancées le 7 octobre 2023. Profitant d’une tournée de quelques semaines à Washington D.C., New York et Ottawa, les représentants du MCC en Jordanie, Palestine et Israël, Seth Malone et Sarah Funkhouser, se sont arrêtés à Montréal le temps d’une journée, par un froid lundi ensoleillé d’octobre 2024. La première de deux rencontres, tenue en français, s’est déroulée à l’Église de Sainte-Rose, autour d’une collation. Une collègue du MCC y avait apporté des dattes. 
 

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Sarah and Seth speaking to a room of about twenty people in a church in Montreal.
Sarah Funkhouser et Seth Malone s'adressent à une salle de supporteurs du MCC à Montréal en octobre 2024. Photo par Mackenzie Schwarz.

Alors qu’ils rencontraient les figures importantes de l’ONU et des gouvernements américain et canadien, Seth et Sarah ont bien voulu offrir aux Églises anabaptistes de la région de Montréal la perspective et l’expérience vécue de leurs partenaires israéliens et palestiniens sur le terrain en contexte de guerre. 

Véritables héros bravant les explosions et les blocus militaires, des partenaires du MCC résidant et œuvrant à Gaza apportent nourriture, literie et trousses de secours aux populations déplacées, blessées, décimées et endeuillées de Gaza. Cette bande de terre clôturée de la taille de l’île de Montréal mais encore plus densément peuplée a vu plus de 70 pourcents de ses bâtiments rasés par les explosions.

Aucun hôpital dans toute la bande n’est fonctionnel à l’actuelle. De multiples sources indépendantes, journalistiques et humanitaires, confirment et documentent ce sombre compte-rendu. 
 

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A van that will transport the emergency food that has arrived in Gaza for distribution to families in Deir al Balah and surrounding areas.
Une camionnette transportant les denrées alimentaires d'urgence arrivées à Gaza pour être distribuées aux familles de Deir al Balah et des zones environnantes en mars 2024.

Malgré toute l’attention médiatique concentrée sur la guerre à Gaza, beaucoup parmi les leaders d’Églises qui ont participé à la rencontre avec Seth et Sarah n’imaginaient pas une destruction d’une telle ampleur et d’une telle cruauté. 

Alors que nous dégustions les dattes apportées par ma collègue, Seth a donné un exemple horrifiant de cette cruauté : lorsque les organismes d’aide humanitaire distribuent des boîtes de dattes, fruit iconique du Moyen-Orient et excellent apport en énergie, les points de contrôle israéliens s’assurent de jeter les dattes qui ont un noyau. On ne peut que supposer que c’est pour empêcher les Gazaouis de les planter et ainsi cultiver eux-mêmes leur subsistance. Mais le plus stupéfiant pour l’auditoire fut sans doute de comprendre à quel point la société israélienne se trouve coupée de cette réalité, à force de tabou et de désinformation, et privée d’une perspective dévoilant une occupation illégale des territoires palestiniens ininterrompue depuis la Naqba (la Catastrophe), en 1949. 

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A man handing a woman and child a box of emergency relief food
Le personnel du Forum de développement Al-Najd distribue de la nourriture d'urgence qui est arrivée à Gaza pour être distribuée aux familles en mars 2024, l'une des deux seules expéditions possibles cette année. *Les noms ne sont pas divulgués pour des raisons de sécurité.

Un partenaire israélien du MCC, Zochrot, se consacre justement à l’éducation des juifs d’Israël à la réalité de la dépossession systématique et illégale des populations palestiniennes. Il s’agit d’un travail délicat, dangereux, mais d’une importance inouïe parce qu’il vise à faire naître une nouvelle identité au sein de la société israélienne. La directrice de l’organisme Zochrot, Rachel Beitarie, réfère à une nouvelle imagination : 

« Au lieu de mettre nos espoirs dans les généraux d’armée ou les puissants de ce monde, nous pouvons offrir la solidarité envers les frères et sœurs palestiniens. Au lieu de la loi du plus fort, nous pouvons offrir une mentalité de sage-femme: une vision capable de voir le potentiel de ce qui n’est pas encore né, de ce qui n’existe pas encore ».

Rachel Beitarie

Directrice du Zochrot

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Zacharie Leclair translates for Sarah Funkhouser and Seth Malone to an audience in Montreal.
Zacharie Leclair assure l'interprétation en français lors de la présentation de Sarah et Seth aux supporteurs. La diapositive sur le mur indique: ce que disent nos partenaires israéliens. 

Devant l’auditoire anabaptiste montréalais, Sarah Funkhouser revient sur cette notion d’imagination et nous encourage à prier pour qu’émerge en Israël comme dans nos Églises la vision d’une paix qui n’est pas encore une réalité.

Pourquoi ici comme en Israël? Après 75 ans d’un conflit qui perdure, il faut voir au-delà des circonstances immédiates (la résistance palestinienne à la dépossession) et comprendre comment la géopolitique empêche toute résolution. Seth et Sarah nous rappellent que les États-Unis, et jusqu’à tout récemment le Canada, fournissent un appui militaire à Israël, lequel nourrit bien entendu la destruction de Gaza et, plus généralement, entretient l’occupation continuelle des territoires palestiniens.

Et les timides récriminations des pays démocratiques lorsqu’Israël enfreint les lois internationales (par exemple lorsqu’il attaque sans préavis l’Iran ou le Liban) décourage l’État juif de toute remise en question de son comportement et l’empêche de faire face aux conséquences de ses actions. L’appel à développer une imagination pour la paix implique donc d’exiger de nos gouvernements occidentaux une approche de reddition de compte et une plus grande cohérence entre les principes professés et la pratique des relations internationales. 
 

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Seth & Sarah
Sarah Funkhouser et Seth Malone encouragent les supporteurs à plaider pour les droits humains au Canada. Photo par Mackenzie Schwarz.

On appelle « plaidoyer » le processus par lequel la société civile, souvent sous l’impulsion d’organismes non-gouvernementaux, mène un ensemble d’actions organisées visant à influencer et/ou à modifier les comportements, les politiques et l’allocation des ressources des personnes ou des institutions qui détiennent le pouvoir, pour le bien de ceux qui sont touchés par une situation donnée (tiré du Coffre à outil du plaidoyer du MCC, p. 2). Si l’envoi de l’aide humanitaire s’avère nécessaire, on ne saurait négliger les causes fondamentales de l’impasse. Autrement, nous ne ferons que reproduire ainsi la même recette qui conduit aux mêmes résultats désastreux.

Avec la seconde élection de Donald Trump et la promesse d’un soutien américain à Israël renouvelé et encore plus indéfectible, il sera encore plus difficile au Canada de représenter une voix discordante en faveur de la paix, du compromis et des règles internationales. Et une telle chose deviendra pratiquement impensable si la prochaine élection canadienne amène au pouvoir un parti qui reproduit la position américaine. 

Le MCC invite donc ceux qui entretiennent une vision pour la non-violence, la justice et la réconciliation en Palestine et en Israël à exprimer leur voix autant par le moyen du plaidoyer, notamment en parcourant cette lettre émise par le MCC, que par le moyen de l’exercice du vote démocratique. Enfin, nos prières convergent vers ce coin du monde pour que les dattes puissent recommencer à abonder en sol palestinien et que la paix germe là où on n’osait plus l’imaginer.