Guérir les terres et les communautés

Des agriculteurs résilients s’adaptent au changement climatique en Colombie

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A green, lush, jungle

« Nous appelons cet endroit Eden », déclare Eduardo Rodríguez, en désignant du geste le lieu qu’il nous a proposé pour notre entretien.

Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. Un petit ruisseau serpente à travers un feuillage tropical luxuriant et le long de rochers lisses ; de longues lianes pendent de la canopée et plongent dans le bassin cristallin créé là où le ruisseau se jette dans une petite cascade. De temps à autre, un papillon aux couleurs vives passe en voltigeant. Près de la maison d’Eduardo, la température dépasse les 38 °C (100 °F), mais ici, l’air est frais.

Aujourd’hui, Eduardo considère ces terres agricoles de la communauté de Vereda Brasilar, dans la région de Montes de María, près de la côte caraïbe de la Colombie comme un paradis. Toutefois, cela n’a pas toujours été ainsi. Lorsqu’il est arrivé il y a plus de 30 ans, tels de nombreux agriculteurs de la région, il a défriché la terre ; puis il a planté principalement des avocatiers générateurs de revenus.

Sa ferme a résisté aux années de conflit qui ont divisé sa famille et sa communauté au début des années 2000. Cependant, une épidémie a frappé ses avocatiers en 2008, suivie d’une sécheresse dévastatrice. Les arbres morts ont laissé le sol exposé au soleil brûlant des Caraïbes, et cette exposition, conjuguée à la sécheresse, a tué les cultures restantes.

Eduardo savait qu’il était temps d’agir différemment. « Nous avons compris qu’il était nécessaire de protéger l’environnement, car nous étions dans une situation très difficile », se souvient-il. « Nous ne pouvions trouver ni eau ni animaux, et il n’y avait pas d’oiseaux. »
 

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Eduardo Rodríguez poses for a portrait in a lush, shady spot next to a clear stream with a small waterfall that the community refers to as “Eden” for its paradisiacal qualities.
Eduardo Rodríguez assis dans un lieu luxuriant et ombragé près d’un ruisseau limpide doté d’une petite chute d’eau clair ; la communauté l’appelle « Eden ». Eduardo fait partie d’un projet du MCC visant à apprendre aux agriculteurs des pratiques favorisant la reforestation et l’agriculture durable en vue de renforcer la résilience face au changement climatique. Photo MCC/Annalee Giesbrecht

Chaleur extrême et pluies imprévisibles

Dans cette région de la Colombie, le changement climatique constitue une réalité indéniable. Le personnel du MCC en a fait l’expérience directe lors de leur visite en juillet 2023. Les températures ont dépassé les 30 °C (90 °F) en milieu de matinée, rendant les visites sur le terrain quasiment impossibles après 10 h 30. Cela a aussi provoqué la surchauffe de notre appareil photo qui s’est éteint en plein milieu des entrevues.

La chaleur n’est pas le seul effet du changement climatique dans la région.

Les précipitations sont devenues imprévisibles.

Les agriculteurs s’étaient habitués à l’arrivée de pluies fines au printemps, signe qu’il était temps de semer. Or, en juillet 2023, la pluie n’était toujours pas tombée. L’année précédente, en revanche, des pluies d’une intensité inattendue avaient fait déborder un ruisseau dans les communautés voisines de Pichilín et de La Florida, prenant au dépourvu les habitants peu habitués aux inondations.

En raison des conditions météorologiques imprévisibles, les plantes ne produisent plus comme par le passé.

« Avant, quand on plantait un corossolier, on se fatiguait à récolter tous les fruits », explique Eduardo. « Aujourd’hui, avec ces changements, un grand arbre qui produisait beaucoup de fruits auparavant ne produit presque rien. »

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Native corn at the seed bank at Finca Villa Santa Barbara. The seed bank stores native seeds that have evolved to survive the specific climate of the Colombian Caribbean and are more likely to be resi
Préserver et restaurer l’utilisation de semences indigènes, comme ce maïs indigène, font partie du travail de Sembrandopaz. Les semences indigènes ont évolué pour survivre au climat particulier des Caraïbes colombiennes. Elles sont plus susceptibles de résister au changement climatique et nécessitent moins de pesticides. Photo MCC/Annalee Giesbrecht

Changement climatique et conflits

Ces changements climatiques ne menacent pas seulement les moyens de subsistance individuels, mais l’effet des retombées entraîne parfois une fragmentation des communautés. Lorsqu’une grande sécheresse ou une inondation détruit une année entière de récoltes, les agriculteurs cherchent à gagner de l’argent ailleurs, notamment auprès d’exploitations minières illégales ou de groupes armés.

Cette région de Colombie, comme beaucoup d’autres, a connu des décennies de conflit armé. La présence persistante de ces groupes menace la paix fragile que Sembrandopaz, partenaire du MCC, et des gens comme Eduardo ont travaillé si ardemment à construire.

Assis au bord du ruisseau, Eduardo se souvient de sa vie lorsque le conflit armé dans la région faisait rage au début des années 2000.

Le conflit était hautement complexe et impliquait l’armée colombienne, des groupes paramilitaires et des groupes de guérilla de gauche. Des communautés entières ont été identifiées

comme étant des partisans d’un groupe ou d’un autre et les ennemis du groupe en question les ont menacées, déplacées ou massacrées.

Au cours de ces années, toute action collective et toute organisation communautaire étaient perçues comme une menace ; on les soupçonnait de soutenir des groupes de guérilla.

Eduardo était un organisateur communautaire ; après avoir été accusé à tort de soutenir la guérilla par un informateur du gouvernement, on l’a retenu prisonnier pendant six mois à Carthagène, une ville côtière située à près de quatre heures de route.

Pendant qu’il était en prison, il s’inquiétait pour ses récoltes, son gagne-pain. Lors d’un autre incident, en raison de la menace posée par les groupes armés, on a déplacé Eduardo et de

nombreux voisins à San Jacinto, la ville la plus proche. Les groupes armés patrouillaient sur les routes et ils ont parfois intercepté les agriculteurs transportant de la nourriture.

« Ils disaient que nous allions apporter de la nourriture aux guérilleros, ce qui n’était évidemment pas le cas ; nous essayions simplement d’apporter de la nourriture à nos familles. »

Finalement, ils sont revenus parce que, loin de leurs cultures et sans revenu, c’était très difficile de se nourrir suffisamment.  « Ce [déplacement] a fait que ma famille a souffert de la faim, mais grâce à Dieu, nous vivons dans une région très productive. Nous pouvons cultiver tout ce dont nous avons besoin », explique-t-il.

Bien que le conflit dans cette région de la Colombie ne s'avère plus aussi intense qu’au début des années 2000, les groupes armés restent présents. Les traumatismes liés aux massacres et aux déplacements perdurent dans la mémoire des habitants. Certaines communautés sont restées fragmentées, leur tissu social effiloché par la méfiance.

Même si le changement climatique n’est pas à l’origine du conflit, on constate que plus une communauté subit les effets du changement climatique, plus les gens se retrouvent sans revenu suffisant pour subvenir aux besoins de leur famille. Cela les pousse à se tourner vers des activités telles que l’exploitation minière illégale ou d’autres activités liées aux groupes armés. Cela ne fait qu’alimenter la violence et inciter les déplacements.

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(l-r) Michelle Hernandez Pérez , Deiver José Salgado Pérez , Liliana Sofía Pérez Garizado, and Leider David Salgado Pérez pose with seedlings in their tree nursery in La Florida, Colombia.
Liliana Sofía Pérez Garizado (deuxième à partir de la droite) est passionnée par l'enseignement de la reforestation et de la protection de l'environnement aux enfants. Enseigner à la prochaine génération est essentiel pour poursuivre le travail de Sembrandopaz en matière de consolidation de la paix et de protection de l'environnement, afin que les enfants apprennent dès leur plus jeune âge non seulement à cultiver de la nourriture, mais aussi à vivre en harmonie avec les plantes et les animaux qui les entourent. Elle est ici avec (de gauche à droite) Michelle Hernandez Pérez, Deiver José Salgado Pérez et Leider David Salgado Pérez avec des semis dans leur pépinière à La Florida, en Colombie. MCC photo/Annalee Giesbrecht

Guérir la terre et œuvrer pour la paix

Suite au fléau qui a ravagé les avocatiers en 2008, Eduardo s’est joint à une association d’agriculteurs pour chercher de l’aide auprès d’organismes agricoles de la région. Cette recherche les a conduits à Sembrandopaz (qui signifie : Semer les graines de la paix), partenaire du MCC. Avec le soutien de cet organisme, Eduardo ainsi que les autres agriculteurs ont appris des pratiques pour soutenir la reforestation et l’agriculture durable afin de renforcer la résilience face au changement climatique. Ces stratégies contribuent également à la consolidation de la paix, car la résilience climatique et la paix sont étroitement liées.

Par exemple, dans ce que Sembrandopaz appelle les « Économies du savoir-vivre », le personnel travaille avec des agriculteurs comme Eduardo pour promouvoir des techniques agricoles telles que l’agroforesterie et le jumelage de cultures. Cela permet d’assurer un approvisionnement régulier en aliments diversifiés sur les terres des agriculteurs, malgré des conditions météorologiques de plus en plus extrêmes et imprévisibles. Le fait de pouvoir compter sur des cultures de base sur place signifie qu’il est moins nécessaire de se rendre ailleurs pour acheter de la nourriture. Cela est d’autant plus important lorsque l’insécurité restreint les déplacements.

Sembrandopaz dispose également d’une ferme expérimentale où le personnel conserve des semences indigènes résistantes à la chaleur et à la sécheresse et expérimente de nouvelles techniques agricoles adaptées aux nouvelles réalités climatiques.

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Oscar Torres, Andres Ruiz, Etel Salas, and Jefferson Arroyo Alvarez add beets to an organic fertilizer mixture at the home of Andres Ruiz in Salsipuedes, Colombia. This homemade fertilizer, or growth
Oscar Torres, Andres Ruiz, Etel Salas et Jefferson Arroyo Alvarez introduisent des betteraves dans un mélange d’engrais naturel. Cet engrais maison que Sembrandopaz apprend aux agriculteurs à fabriquer contient des ingrédients que les agriculteurs peuvent facilement trouver près de chez eux ou acheter à bas prix. Il apporte aux plantes l’aide supplémentaire dont elles ont besoin pour croître et bien produire malgré les défis du changement climatique, et ce pour une fraction du coût des engrais chimiques. Photo MCC/Annalee Giesbrecht

Aujourd’hui, la ferme de Eduardo n’est pas composée uniquement d’avocatiers, mais d’une grande variété d’arbres. Ses champs sont remplis de cultures de base comme l’igname et le yuca qui poussent entre les manguiers, les goyaviers et d’autres arbres fruitiers.

D’autres activités, comme les journées de reboisement et de plantation d’arbres, renforcent la communauté tout en augmentant la résilience au changement climatique. Le renforcement des liens entre les membres de ces communautés constitue l’une des principales approches de Sembrandopaz en matière de consolidation de la paix et de guérison des traumatismes depuis les événements du début des années 2000. Se réunir pour planter des arbres favorise le sentiment d’appartenance à la communauté et nécessite une prise de décision commune.

« On ne peut pas parvenir à la paix là où subsiste la faim ».

Etel Salas

Ingénieure agricole

Sembrandopaz et les membres de la communauté enseignent la protection de l’environnement à la génération suivante également, afin que les communautés continuent à prospérer à l’avenir. On espère que les enfants qui apprennent à vivre en paix avec leur entourage (humains, plantes et animaux) se montreront moins enclins à rejoindre des groupes armés ou à s’impliquer dans des activités criminelles en grandissant.

« Si nous n'agissons pas pour changer la situation [changement climatique], les générations suivantes ne disposeront pas de lieu où exercer leurs droits », déclare Etel Salas, ingénieure agricole et membre de l’équipe Économies du savoir-vivre. « On ne peut pas parvenir à la paix là où subsiste la faim. »

En Colombie, et dans le monde entier, les partenaires du MCC aident les communautés à s’adapter au changement climatique. Toutefois, ils ont des limites. Ils ont besoin de plus de

soutien dans leurs efforts d’adaptation. Toutefois, ils ont surtout besoin de mettre un terme à la progression du changement climatique, ce qui signifie que les pays qui émettent le plus de gaz à effet de serre doivent agir.

Vous pouvez soutenir Eduardo et les communautés comme la sienne en faisant part de vos préoccupations concernant le changement climatique et ses conséquences à vos représentants gouvernementaux. Élever la voix pour attirer l’attention sur les effets du changement climatique est une façon de contribuer à créer un avenir plus pacifique pour les communautés en Colombie et d’ailleurs. Vous pouvez signer l’une de ces lettres de plaidoyer dès aujourd’hui en vous inscrivant à : Mois d’actions climatiques pour la paix, ou en découvrant d’autres façons de vous impliquer ici. (Ce lien n’existe pas encore en français.)


Annalee Giesbrecht, employée du MCC, en poste à Mexico, est analyste du contexte et coordinatrice du soutien au plaidoyer et à la communication pour l’Amérique latine et les Caraïbes.