En souvenir des disparus au Mexique
Bethany Renata Loberg, collaboratrice du MCC, revient sur ses expériences d’accompagnatrice de familles de personnes portées disparues au Mexique.
Le matin du 10 mai 2022, jour de la fête des Mères au Mexique, des femmes et quelques hommes de tous âges se rassemblent dans la ville de Veracruz, dans l’État de Veracruz. Tous arborent un maillot sur lequel figure le visage d’un proche disparu.
Ils installent des photos et des banderoles portant les visages de leurs proches le long du trottoir. S’ils se saluent en souriant, voire en riant, leurs traits sont marqués par une profonde tristesse et leurs yeux sont hantés.
Au cours des dix dernières années, ce jour est devenu celui durant lequel les familles de disparus descendent dans la rue ; elles élèvent la voix et crier leur douleur et leur amour, ainsi que leur espoir et leur désir ardent de savoir où se trouvent leurs proches. Elles réclament la vérité et la justice.
Être porté disparu, c’est manquer à l’appel, souvent enlevé et possiblement tué par les forces de sécurité du gouvernement ou par des groupes armés du crime organisé. Selon les registres officiels, on compte plus de 110 000 personnes disparues au Mexique, 98 % d’entre elles depuis 2006. Il s’agit là d’un chiffre en deçà de la réalité. Par crainte de représailles, de nombreuses familles ne signalent pas les personnes portées disparues. Le nombre réel pourrait s’avérer deux fois plus élevé, voire plus.
Les questionnements tourmentent sans relâche les proches des personnes disparues : où se trouve mon fils, ma fille, ma sœur, mon frère, mon mari, ma femme, ma nièce, mon neveu ? A-t-elle mangé ? Est-ce qu’il va bien ? À mesure que le nombre de disparus augmente, de plus en plus de proches se réunissent pour former des groupes locaux, appelés collectifs, ainsi que des réseaux nationaux, dont le Mouvement pour nos disparus au Mexique (MNDM).
En août 2021, j’ai déménagé à Xalapa, qui se trouve dans l’État mexicain de Veracruz. Je travaille pour le MCC au sein de l’organisation partenaire SERAPAZ, Servicios y Asesoría para la Paz (Services de conseil pour la paix) pour promouvoir la vérité, la justice et le plaidoyer à propos des disparitions.
Mes tâches consistent à accompagner les collectifs de l’État de Veracruz dans leurs initiatives de sensibilisation et de plaidoyer, à coanimer des formations et à collaborer avec des collègues pour faciliter le travail du MNDM sur le plan national.
J’accompagne également les événements organisés par les collectifs à des dates importantes, notamment la fête des Mères.
Ainsi, en ce matin de mai 2022, je me joins au groupe en mouvement. Lidia, l’une des dirigeantes, me tend l’extrémité d’une bannière à porter. Lorsque nous nous mettons en route, Lidia et d’autres entament des slogans qui se répercutent dans la foule :
« Ils les ont pris vivants, nous voulons les retrouver vivants ! »
« Si le peuple se rassemblait et s’unissait comme il se doit, les puissants seraient renversés de leurs trônes. »
« Joignez-vous à nous, joignez-vous à nous, ça pourrait être votre fils. »
Quelques passants s’arrêtent pour lire les pancartes et les banderoles, d’autres poursuivent leurs activités sans regarder.
Quarante-cinq minutes plus tard, nous arrivons au phare Venustiano Carranza. Tout le monde dépose ses banderoles et ses photos sur la place et se rassemble en cercle.
Les leaders lisent les noms des bien-aimés portés disparus de chaque participant. Après chaque nom, tous répondent en unisson : « Présent, aujourd’hui et toujours ».
Lors d’un temps d’échange à micro ouvert, un père, Jesús, raconte à la foule que, pendant de nombreuses années, lui et sa femme Yolanda ont cherché leur fille disparue. Aujourd’hui, Yolanda est décédée et Jesús atteste sa détermination à poursuivre les recherches et la lutte en son nom. Une mère raconte que son fils a disparu il y a quelques mois à peine, et qu’il est très douloureux de vivre cette première fête des Mères sans lui.
La réunion se termine par la prière du Notre Père.
Des marches analogues ont lieu dans tout le Mexique à l’occasion de la fête des Mères, car il y a eu des disparitions dans tout le pays. Ces disparitions touchent de nombreux groupes : de dissidents politiques dans les années 1960-1980 aux femmes employées dans les usines dans les années 1990 et au début des années 2000, en passant par les migrants qui se mobilisent à l’intérieur du pays ou qui traversent le Mexique pour se rendre aux États-Unis.
En 2006, l’administration du président Felipe Calderón a entamé une guerre contre le crime organisé, soutenue et financée notamment par les États-Unis. Toutefois, selon des études du Centre de recherches et d’enseignement économique (CIDE), le nombre de groupes criminels a augmenté de 900 %, le nombre de morts civiles de 2 000 % et le nombre de disparitions a grimpé en flèche sous l’administration Calderón. Dans les années 2010, on a assisté à une multiplication d’appels à mettre fin à la violence, en particulier après la disparition très médiatisée de 43 étudiants d’une école normale en 2014.
En réponse, SERAPAZ a fait de la vérité, de la justice et de la question des disparitions l’un de ses trois axes stratégiques.
Ayant étudié divers modèles de transformation de conflits au Collège Goshen et à l’Université mennonite de l’Est, j’ai trouvé passionnant de constater que SERAPAZ collabore à la mise en application de ces structures pour résoudre certains défis de justice majeurs au Mexique.
Dans l’État de Veracruz, où je vis et travaille, plus de 7 000 personnes ont disparu. L’un des principaux facteurs de disparition est la concurrence que se livre un réseau obscur de groupes criminels organisés, d’entreprises privées et de fonctionnaires. Chaque acteur est désireux d’obtenir des contrats d’exploitation de pétrole et de gaz et d’infrastructures lucratifs.
En même temps, pour beaucoup, la profondeur de leur douleur et de leur amour a activé en eux une détermination et une résistance qu’ils ne soupçonnaient pas.
Bethany Renata Loberg
Dans ce contexte difficile, le fait de collaborer avec les proches de disparus me rend toujours humble. La plupart d’entre eux n’étaient pas actifs politiquement avant qu’on ne leur arrache leurs bien-aimés. Aujourd’hui, ils font valoir leurs droits et leur dignité face à des systèmes puissants qui ont ravi leurs proches et ne veulent pas qu’ils soient retrouvés.
Ces systèmes cherchent à épuiser les proches des disparus, voire à les réduire au silence. Leur traumatisme se manifeste par un profond chagrin, des nuits blanches, des mâchoires serrées au point de causer des fissures dans les dents. Les familles se disloquent, les existences subissent une reconfiguration complète.
En même temps, pour beaucoup, la profondeur de leur douleur et de leur amour a activé en eux une détermination et une résistance qu’ils ne soupçonnaient pas. En se cherchant, ils se sont trouvés les uns les autres, une nouvelle famille qui comprend leur expérience et leur fait savoir, en paroles et en actes, qu’ils ne sont pas seuls. À bien des égards, je crois que les collectifs sont la voix prophétique dans le désert, dénonçant une culture de la mort et nous appelant à honorer la vie et la dignité humaines.
On a besoin de toute cette force créatrice d’amour pour soutenir le mouvement, une entreprise apparemment aussi impossible que de demander à un mûrier d’être déraciné et planté dans la mer. Pourtant, dans Luc 17.6, Jésus nous dit qu’avec une foi aussi petite qu’une graine de moutarde, le mûrier obtempérera.
L’un des principaux résultats du travail de SERAPAZ fut l’adoption en 2017 d’une loi qui reconnaît les disparitions comme un crime et établit des dispositifs nationaux de recherche. En 2018, sous l’impulsion des collectifs locaux, Veracruz a été le premier État à adopter une version de cette loi au niveau de l’État. Leurs efforts ont également conduit à la création de mécanismes qui aident à traiter et à identifier les corps humains trouvés lors de recherches.
Pourtant, la lutte contre les disparitions au Mexique reste un combat difficile. De nombreuses familles continuent à chercher des réponses. C’est pourquoi elles continuent à se rassembler, à défendre leur cause et à faire entendre leur voix.
Au cours du rassemblement de décembre 2023 de la DMNM, un événement a illustré la profondeur et l’interconnexion de leur douleur et de leur amour. Alors que j’animais une activité préliminaire le troisième jour, les familles ont spontanément choisi de former un cœur.
Se tenant par la main, tous se sont mis à scander à l’unisson :
« Pourquoi les cherchons-nous ? »
« Parce que nous les aimons. »
Comment accompagner les proches de disparus ?
Les politiques internationales, les marchés, les cultures et les modes de vie contribuent aux disparitions et aux autres formes de violence au Mexique.
Selon l’association Stop US Arms to Mexico (Halte aux armes américaines au Mexique), plus de 70 % des armes confisquées sur les scènes de crime au Mexique sont produites aux États-Unis. Les compagnies pétrolières, gazières et minières canadiennes et américaines sont complices de la violence.
Voici comment vous pouvez aider à soutenir la voix prophétique des collectifs pour honorer la vie et la dignité :
Priez pour que justice soit rendue aux disparus au Mexique, pour que cessent les disparitions dans le monde et que la paix règne dans l’esprit des proches des disparus.
Plaider pour :
- Les politiques américaines visant à réduire le flux d’armes vers l’Amérique latine, telle que la loi ARMAS. Pour en savoir plus et envoyer un message à vos élus, cliquez ici.
- Le gouvernement canadien qui veille à ce que les entreprises canadiennes opérant à l’échelle internationale (y compris au Mexique) protègent les personnes et la planète. Cliquez ici pour en savoir plus.
- Les politiques internationales qui aident les familles des disparus à trouver des réponses sur la localisation de leurs proches et à exiger des comptes aux responsables.
Vivre simplement et s’engager dans la protection de la création. Étant donné le lien étroit entre les disparitions et la production de pétrole et de gaz, vous pouvez apporter votre contribution en désinvestissant dans le pétrole et le gaz et en optant pour des formes de transport et d’énergie durables.
Méditez sur les Écritures (Luc 18.1-8, Luc 13.10-17, Deutéronome 30.19-20) en lien avec la lutte pour mettre fin aux disparitions.
Faites un don au MCC. Votre soutien permet au personnel du monde entier d’accompagner les partenaires internationaux dans leurs efforts pour résoudre les problèmes urgents de justice.
Légende de la photo en en-tête : Bethany Renata Loberg, à gauche, aux côtés de Clavel Rojo, employé de SERAPAZ, lors d’un atelier sur la consolidation de la paix et la transformation des conflits dans l’État mexicain de Sonora. Photo fournie par Bethany Renata Loberg
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