Elle s’appelle Ding

Comment un partenaire du MCC au Soudan du Sud a assuré l’avenir d’une jeune fille.

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A woman stands in front of a bookcase

Pendant trois jours et trois nuits, Mary Laat a couru pour se cacher des membres de sa propre famille. Le but de leur poursuite ? L’amener devant l’autel pour qu’elle épouse un homme qu’elle ne connaissait pas, mais qui avait payé sa dote et attendait une femme en retour. S’accrochant aux branches supérieures de l’arbre où elle se cachait la nuit, elle raconte avoir entendu les hyènes rôder autour d’elle dans l’espoir d’un repas facile.

Ce n’est que lorsqu’elle est tombée à genoux devant les portes de l’école Loreto Rumbek qu’elle a versé les larmes qui brûlaient en elle. Elle se trouvait chez elle maintenant. Enfin en sécurité.

Nommée d’après une vache, vendue à un prix

Aujourd’hui âgée de 22 ans, Mary utilise « Laat » comme nom de famille, mais pendant la majeure partie de sa vie, on l’appelait « Ding ». Mary et sa famille appartiennent au peuple Dinka du Sud-Soudan. Les Dinka constituent sans doute le groupe ethnique le plus connu sur la scène internationale pour leur grande taille. Effectivement, sur Wikipédia, la rubrique « Quelques personnalités d’origine Dinka » ne comprend pas moins de sept joueurs de basket-ball ayant évolué en NBA et de nombreux mannequins. Toutefois, à l’intérieur des frontières du Sud-Soudan, on associe fortement les Dinka à leurs « campements de bétail » ; ces tribus familiales nomades d’agriculteurs-éleveurs dont la position sociale et financière est directement liée à la taille de leur troupeau de bétail.

Le père de Mary, Mabor*, était le chef de son camp, apprécié de tous. Comme pour tout jeune homme Dinka, on avait arrangé un mariage entre lui et la mère de Mary, Akuach*, et il devait fournir une dot de bétail en guise d’échange. Dans la culture Dinka, chaque fille dans une famille est censée obtenir une dot respectable de bétail lorsqu’elle atteint l’âge de se marier. Toutefois, les filles aînées, comme Marie, doivent aussi rembourser la dot dépensée pour le mariage de leur mère.

Ainsi, pour rappeler la valeur qu’elle est censée avoir aux yeux des hommes de sa famille, on l’appelle « Ding », du nom d’une des vaches dépensées pour la dot d’Akuach. C’est un poids émotionnel qu’elle est obligée de porter et un rappel constant de sa place dans l’ordre social des Dinka.

Sous la dictée des Dinka

Selon ses dires de Mary, les membres de sa tribu font partie des peuples les moins instruits du Sud-Soudan. Cela s’explique, du moins en partie, par les effets du colonialisme britannique, qui a divisé administrativement le nord et le sud du Soudan. Les conséquences économiques, politiques et éducatives de cette séparation ont joué un rôle majeur dans la guerre civile qui s’est achevée par l’accession du Sud-Soudan à l’indépendance.

« Les Dinka ne sont pas favorables à l’éducation des filles, car ils estiment que la seule chose qu’une fille est censée accomplir, c’est de se marier. C’est ce qu’elles font de mieux », explique-t-elle.

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Three people overlook a seated crowd
(De gauche à droite) Mary Laat, Racheal Piath et Jolamb Masereka attendent avant d’assister à la vaccination des nourrissons lors de la séance de vaccination du Centre de soins de santé primaires Mary Ward à l’école Loreto Rumbek (MCC/photo Fairpicture/David Lomuria).

En 2016, alors qu’elle terminait sa 7e année de primaire (l’équivalent de secondaire I au Québec), elle a eu ses premières règles, ce qui signifiait qu’elle était une femme mariable aux yeux de l’ethnie Dinka. Elle a été profondément frustrée, mais pas nécessairement surprise lorsque son père voulut l’empêcher d’aller à l’école et lui trouver un prétendant au mariage convenable.

« Vous avez l’impression qu’on vous dicte votre avenir ; à tout moment, n’importe qui peut mettre fin à vos projets, à vos objectifs, à tout ce que vous avez planifié pour votre avenir, » déclare Mary. « Vous avez l’impression d’être un bien à céder en temps voulu. Vous vous sentez moins humaine, vous savez que vous pouvez être vendu à tout moment. Vous avez moins de résistance pour défendre vos projets. »

Cependant, grâce aux conseils avisés de sa mère, elle a convaincu son père qu’une éducation complète s’avérerait profitable : pour son propre bien-être, et pour lui, afin de faire d’elle une épouse plus attrayante et plus appréciable. Il a accepté à contrecœur et Mary a terminé sa huitième année de primaire avant de poser sa candidature pour entrer dans le secondaire (l’équivalent de secondaire II au Québec) à l’école Loreto Rumbek, un partenaire du MCC dans la région.

Rumbek : une oasis, une école et un bastion

L’école Loreto Rumbek, près de Rumbek, au Sud-Soudan, se compose d’une école primaire, d’une école secondaire pour filles et d’un centre de soins de santé. Depuis longtemps partenaire du MCC dans le pays, Loreto est l’une des écoles les plus performantes de l’État ; elle a pour objectif de créer un environnement favorable pour tous les élèves, en particulier les filles de l’école secondaire.

Au fil des ans, le MCC a soutenu divers programmes à Loreto, notamment les programmes d’alimentation scolaire, de viande en conserve, de distribution de trousse de dignité at de trousses scolaires, un programme de vaccination des enfants, l’infrastructure d’une serre et d’un jardin, des arbres fruitiers et bien davantage. Ces programmes enrichissent le travail extraordinaire des enseignants et du personnel de Loreto. Ces derniers créent un espace pour que de jeunes femmes comme Mary puissent grandir, apprendre et s’exprimer dans un environnement sécurisé et favorable.

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The sewing class at Loreto Rumbek School sew together the base units for reusable mentstral pads.
Une classe de couture de l’école Loreto Rumbek assemble les pièces de base de serviettes hygiéniques réutilisables. (Photo MCC/Christy Kauffman)

Lorsque Marie est arrivée à Lorette, elle était abasourdie. De nombreuses jeunes filles des classes supérieures à la sienne semblaient si libres et heureuses. Les institutrices religieuses leur parlaient souvent de leur pouvoir en tant que femmes, et de savoir comment utiliser leur voix ; à bien des égards, c’était le contraire de ce que Mary avait entendu toute sa vie. Sa première année, elle a vécu une expérience transformatrice. Avoir la maîtrise de sa propre vie lui avait semblé impossible, mais elle sentait qu’on lui donnait les moyens pour y parvenir.

Puis, en août, elle est rentrée chez elle pour des vacances et tout son avenir a basculé.

Une fuite pour sa liberté

Avec une semaine de vacances au programme, Mary a parcouru les 90 km qui la séparaient de son domicile, près du village de Malueth. Une fois arrivée, elle découvrit que sa famille agissait avec méfiance à son égard. Chaque fois qu’elle demandait ce qui se passait, elle obtenait des réponses évasives, jusqu’à ce qu’elle insiste suffisamment auprès d’un membre de la famille pour savoir ce qui se passait réellement. C’était une mauvaise nouvelle. Son père avait accepté une dot de bétail de la part d’un homme de la région en échange de la main de Mary, et celle-ci ne serait pas autorisée à retourner à l’école.

Furieuse, Mary interpella son père en lui signifiant clairement qu’elle ne voulait pas cela pour elle. Il n’a pas bronché, lui rappelant qu’on lui avait déjà payé le bétail et que le marché était conclu. Elle avait tant appris des femmes et des filles de Loreto ; elle n’avait aucunement l’intention de renoncer à l’avenir auquel elle croyait pour épouser un homme qu’elle n’aimait pas, qu’elle ne connaissait même pas. Alors elle élabora un plan pour retourner à Loreto, afin de pouvoir décider ce qui serait le mieux pour elle.

Elle revint chez son père, prétendant avoir changé d’avis pour calmer les esprits à la maison. Cela lui permit de gagner quelques jours. Elle dit à sa famille qu’elle se sentait mal, puis, à la nuit tombée, elle s’enfuit de leur campement dans l’obscurité, déterminée à retrouver à tout prix le soutien et la sécurité de Loreto.

« Je ne me déplaçais que la nuit et, pendant la journée, je grimpais dans un arbre et m’y cachais », raconte Mary. « Je veillais à éviter de passer par la propriété de quelqu’un d’autre pour qu’on ne dise pas m’avoir vue. Si je voyais quelqu’un sur le chemin, je me réfugiais dans un buisson au bord de la route. Je rejoignais un groupe si personne ne me reconnaissait.

Pendant trois jours et trois nuits, Mary a parcouru le chemin jusqu’à Loreto, restant à l’abri des regards et évitant le danger, parfois de justesse.

« La nuit, j’entendais les hyènes faire du bruit, mais je ne pleurais pas. J’étais très forte. Je me disais que tout ce qui devait arriver arriverait. Si un lion me mangeait, pas de problème, je m’en fichais. Je me déplaçais avec toute mon énergie. Mais une fois que j’ai vu les portes de l’école, je suis tombée à genoux et j’ai commencé à pleurer.

Les réalités, les risques et les récompenses de l’éducation des filles à Rumbek

C’était en septembre 2018. Avec le soutien de l’école, des enseignants et de ses camarades de classe, pour sa propre sécurité Mary n’a plus quitté l’enceinte fortifiée de l’école jusqu’à l’obtention de son diplôme en 2022. Mais cela ne signifie pas que sa famille a renoncé à la retrouver. Peu après son retour, un groupe d’oncles est arrivé à l’école, dans l’espoir de la reprendre là où ils pensaient qu’elle s’était enfuie.

Mary n’était cependant pas la première fille à vivre de telles circonstances à Loreto. Dès qu’elles ont vu le groupe, on a rapidement conduit Mary et cinq autres filles dans la même situation dans un endroit sûr dans l’enceinte de l’école. Puis on a communiqué la nouvelle à tout le monde à Loreto : Mary n’est pas venue ici, elle est partie en vacances et c’est la dernière fois que nous l’avons vue. Aucune menace de violence de la part de ses oncles n’a pu ébranler l’engagement du personnel et des élèves de Loreto en faveur de la sécurité des filles.

Lorsque des cas comme celui de Mary se présentent à Loreto et que la sécurité des élèves et du personnel est menacée, les responsables de l’école s’appuient sur leurs relations avec les membres de la communauté pour résoudre les conflits en toute sécurité. Le personnel de Loreto peut demander au chef local ou aux anciens d’intervenir ou, le cas échéant, aux ministres de l’Égalité des sexes et de l’Éducation de l’État qui détiennent plus de pouvoir politique, explique Sœur Orla Treacy, directrice de Loreto.

Selon Sœur Orla, la sécurité des élèves constitue un élément essentiel de leur approche de l’éducation.

“Cela démontre notre engagement en faveur de l’éducation des filles en les aidant à rester à l’école et en les protégeant des traumatismes physiques et émotionnels qui en découlent. Cela renforce également notre collaboration avec les dirigeants locaux qui, dans une large mesure, soutiennent le fonctionnement, la sécurité et les programmes à Loreto”, déclare Sœur Orla.

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A group of young women eat a meal outside
Un groupe d’élèves de l’école Loreto Rumbek déguste un repas préparé avec de la dinde en conserve du MCC. (MCC/photo Fairpicture/David Lomuria)

Mary a tiré le meilleur parti de sa situation en s’engageant à poursuivre ses études pendant les trois prochaines années. Ses amis ont rallié une communauté autour d’elle, et plus d’une amie et leur famille lui a fait comprendre qu’elle faisait désormais partie de leur famille. Mary ne le savait pas à l’époque, mais même si un jour elle se réconciliera avec sa mère, elle ne reverrait jamais son père.

L’émotion de la remise des diplômes et la peine d’un cœur brisé

À la grande surprise de Mary et du personnel de Loreto, Akuach s’est présentée à la cérémonie de remise des diplômes de Loreto. Cependant, la joie de Mary de retrouver sa mère a été tempérée par la terrible nouvelle de la mort de son père Mabor. L’un des oncles de Mary avait voulu prendre le pouvoir pour devenir chef ; moyennant un petit troupeau de bétail, il avait payé un assassin pour le descendre dans sa maison.

Pleurant la mort de son père tout en célébrant la réconciliation avec sa mère, Mary a repris la maîtrise de sa vie. L’école secondaire terminée, il ne lui reste plus qu’à choisir la prochaine étape. À ce jour, le centre Loreto a joué un rôle si important dans sa liberté qu’elle a décidé de rester un peu plus longtemps et s’est inscrite au stage d’études postsecondaires de Loreto.

Le programme est conçu pour donner aux jeunes femmes la possibilité de participer à toutes les activités à Loreto ; la clinique, la cuisine, la salle de classe et de nombreux aspects de l’administration. En deux ans, les stagiaires, toutes de jeunes femmes, peuvent se constituer un sommaire de leur expérience bien plus important de ce à quoi elles pourraient prétendre au cours de la même période.

Une fois son stage terminé, Mary espère faire partie de la poignée de jeunes filles parrainées par Loreto pour suivre une formation universitaire complète au Kenya. Si elle réussit à atteindre ses objectifs éducatifs, elle espère enseigner un jour à l’Université catholique d’Afrique de l’Est à Nairobi, au Kenya.

Pour Mary, le résultat du partenariat du MCC avec Loreto représente bien plus que la somme de ses parties. Elle a reçu de la nourriture, des trousses de dignité et toutes sortes d’autres soutiens grâce au financement du MCC pendant qu’elle résidait à Loreto. Toutefois, ces choses ne mènent pas, à elles seules, à la liberté et à la paix qu’elle connaît aujourd’hui. La nourriture répond à la faim, mais c’est un artisan de la paix qui instaure la paix.

*La politique de l’école de Loreto interdit de communiquer les noms complets des parents d’élèves.

Légende de la photo du haut : Mary Laat est une ancienne élève aujourd’hui stagiaire à l’école Loreto Rumbek à Rumbek, au Sud-Soudan. Grâce au soutien du personnel de Loreto, elle a pu éviter un mariage arrangé non désiré et obtenir l’éducation dont elle rêvait. (Photo avec l’aimable autorisation de Loreto Rumbek)