« Quel choix y a-t-il, entre se faire tuer ou quitter sa patrie ? »

Une entrevue sur Gaza avec les représentants du MCC à Jérusalem

Image
MCC Jerusalem Reps Sarah Funkhouser and Seth Malone

 

Basés à Jérusalem, Sarah Funkhouser et Seth Malone sont les représentants du MCC pour la Jordanie, la Palestine et Israël. Dans cette entrevue avec Chris Rice, directeur du bureau du MCC auprès des Nations unies, ils évoquent : le courage des partenaires palestiniens du MCC à Gaza, les obstacles qui entravent la distribution d’une aide vitale, les choix terribles auxquels sont confrontés les civils à Gaza, et le travail audacieux effectué par les partenaires israéliens du MCC en faveur d’une coexistence pacifique  

 Chris Rice: En ce qui concerne la crise humanitaire à Gaza, pouvez-vous décrire ce que le MCC et ses partenaires à Gaza observent et expérimentent sur le terrain ?

Seth Malone : Je ne sais pas s’il existe des mots pour décrire le niveau de destruction et de bombardement qu’ont subi Gaza et sa population. Un très grand nombre de bâtiments ont été complètement détruits. Tous vivent en mode de survie. C’est incroyable ce que nos partenaires à Gaza ont entrepris pour répondre aux besoins immédiats alors qu’ils vivent eux-mêmes cette crise. Ce sont eux les superhéros. Nous avons des photos de lieux dans le nord de la bande de Gaza où nos partenaires ont distribué de la nourriture. Quelques jours plus tard, les photos des mêmes lieux montrent la destruction de ceux-ci. Nos partenaires mettent constamment leur vie en danger. Ils sont eux-mêmes déplacés, plusieurs fois, poussés vers le sud, de la ville de Gaza à Rafah. Le fait qu’ils continuent à tendre la main et à faire preuve de compassion envers les autres malgré tout cela est tellement impressionnant et émouvant. Le besoin immédiat est de mettre fin à la mort et à la destruction afin de pouvoir envisager un avenir.

Lors d’une réunion avec des diplomates des Nations unies à laquelle j’ai assisté en février à New York, la directrice générale d’Oxfam É.-U. a évoqué le risque élevé de famine à Gaza. Mais elle a ajouté que la situation pourrait changer instantanément si on autorisait l’accès. Bien que le MCC et ses partenaires aient été en mesure de trouver des moyens innovants pour répondre aux besoins des habitants de Gaza, il y a encore un grand pourcentage de la population qui en est privé. Pourquoi est-il si difficile pour le MCC et d’autres groupes humanitaires d’acheminer de l’aide à Gaza?

Sarah Funkhouser: Pendant des mois, on a coupé l'accès à Gaza à partir d’Israël, y compris tous les points de passage que nous aurions utilisés par le passé. Le commentaire d’Oxfam montre que les ONG ont l’expérience et l’expertise nécessaires pour acheminer l’aide pendant les crises humanitaires. Cependant, les obstacles sont intentionnels, et cela est bien documenté par le MCC et d’autres organismes expérimentés sur le terrain. Il existe un discours selon lequel tous les habitants de Gaza sont coupables et méritent ce qui leur arrive. Par exemple, Gaza se trouve sur une côte et devrait pouvoir se nourrir grâce à l’océan. Mais l’armée israélienne bombarde les bateaux de pêche sous prétexte qu’ils représentent un risque pour la sécurité. Les gens dépendent désormais littéralement de l’alimentation animale pour se nourrir. Même avant le 7 octobre, Israël a rendu les opérations des organismes humanitaires de plus en plus difficiles. Ces dernières années, et encore davantage maintenant, nous avons documenté un rétrécissement de l’espace civique et humanitaire qui restreigne la mise en œuvre de programmes comme les nôtres. Le risque de famine n’est pas une coïncidence. Il est programmé.  

Gaza abrite 2,2 millions de Palestiniens. S’ils restent, eux et leurs proches risquent de mourir de faim ou être tués ; leurs maisons ont déjà été détruites. S’ils ont la possibilité de partir, pourront-ils revenir?  

Sarah: Depuis le 7 octobre, près d’un million et demi de Gazaouis sont désormais déplacés à Rafah. Ce phénomène n’est pas nouveau. Lors de la création d’Israël en 1948, plus de 700 000 Palestiniens ont été contraints de quitter leurs maisons pour ne plus jamais y revenir. Le déplacement des Palestiniens à Gaza est donc encore plus important qu’en 1948. Ces exemples historiques sont importants pour les Palestiniens, car ils prouvent que s’ils quittent Gaza pour

l’Égypte ou ailleurs, ils ne pourront jamais revenir. Quel choix y a-t-il, entre se faire tuer ou partir, sachant qu’ils perdent leur patrie ? Le droit international humanitaire parle de « déplacement forcé et illégal ». Ce déplacement n’est ni juste ni pacifique..   

Haaretz est le journal le plus ancien d’Israël. Dans un article récent, le rédacteur en chef israélien a déclaré : la réponse dévastatrice du gouvernement Netanyahou le 7 octobre ne permettra jamais à Israël de vivre en paix; Israël doit autoriser les Palestiniens à partager la terre et déployer des efforts à coexister. Il admet qu’il s’agit d’une opinion minoritaire parmi les Israéliens. Vous qui habitez à Jérusalem, à votre avis, qu’est-ce qui a changé dans la manière dont les Israéliens perçoivent la crise à laquelle leur pays est confronté depuis le 7 octobre?

Seth: À l’époque, les Israéliens étaient très favorables à une solution pacifique fondée sur la coexistence de deux États. Aujourd’hui, pour la plupart des Israéliens, c’est tout ou rien. Israël possède l’une des armées les mieux financées au monde et sera toujours en mesure de riposter plus durement, avec une plus grande violence. Le 7 octobre a été vraiment horrible. Pourtant, je ne peux pas croire une seule seconde que si l’on se débarrasse de tout le monde à Gaza, les problèmes disparaîtront. Il faut apprendre à vivre avec ses voisins. Le MCC collabore avec des partenaires israéliens tels que Zochrot et New Profile qui reconnaissent depuis toujours que la violence ne mène à rien de bon. Ils en sont encore plus convaincus aujourd’hui. Le directeur israélien de Zochrot a déclaré dans un message vidéo adressé au MCC (uniquement en anglais) qu’il n’y a ni sûreté, ni sécurité, ni dignité à emprunter cette voie.

Le mois dernier, le leader chrétien et avocat palestinien Jonathan Kuttab a déclaré au MCC qu’il espérait que les églises pacifistes américaines seraient en mesure de proposer une alternative par le biais du pacifisme. À quoi cela pourrait-il ressembler?

Seth: La non-violence doit être plus qu’une simple croyance. Si vous vous engagez en faveur de la non-violence, cela signifie que vous agissez concrètement pour vous opposer à la violence chaque fois que vous le constatez, en tout lieu. L’alternative à la violence est la véritable solidarité. En tant qu’Américain, le fait que la violence contre les Palestiniens de Gaza soit facilitée en grande partie par le soutien de mon gouvernement signifie que je ne suis pas dissocié de ce qui se passe. La non-violence consiste à assumer cette responsabilité et à la traduire en actions en faveur de la paix et de la justice. Nous ne devons pas être timides, mais au contraire faire preuve d’audace dans notre discours et notre action.

 

Mise à jour importante : le 19 mars, le MCC a pu effectuer une expédition à Gaza, livrant de la nourriture à 665 familles déplacées. Voir le reportage et les photos ici (en anglais).